Blog de l'Arpetani

(FR) Point de langue #1 : L'alphabet phonétique international

Vous commencez à vous plonger dans les tréfonds de la linguistique et vous vous demandez c’est quoi tous ces symboles bizarres entre crochets ou entre slashs ? Vous apprenez une langue et vous en avez marre des transcriptions phonétiques hasardeuses et pas rigoureuses basées sur le français, et vous cherchez une méthode de notation un peu plus carrée ? Vous connaissez les bases de l’alphabet phonétique international mais vous voulez approfondir vos connaissances ? Cet article est là, pour vous expliquer le fonctionnement détaillé de l’alphabet phonétique international (API).

La première fois que vous avez vu des tableaux de l’API, remplis de symboles bizarres, ça vous a peut-être fait peur, mais vous inquiétez pas, on va y aller progressivement. Notre but ne sera pas d’apprendre par cœur tous les symboles (il y en a beaucoup trop), mais de comprendre le fonctionnement intrinsèque des tableaux. Comme ça, quand vous chercherez un symbole dans un tableau, vous saurez où le trouver et ce qu’il veut dire.

Les voyelles

Trapèze vocalique

Le trapèze des voyelles peut s’imaginer comme une bouche vue de profil, avec les lèvres à gauche et le cou à droite.

Plus on est bas dans le tableau, plus le menton est bas également, et donc plus la bouche est ouverte. Pensez à la différence entre [i] qui est fermé, et [a] qui est ouvert. On a comme intermédiaire [e] (prononcer comme un ‹ é › en français) qui est semi-fermé, et [ɛ] (prononcer comme un ‹ è › en français) qui est semi-ouvert.

Plus on est à droite du tableau, plus la langue est en arrière de la bouche, près de la gorge. À gauche du tableau, on parle de voyelle antérieure (« front » en anglais), et à droite, de voyelle postérieure (« back » en anglais). Pensez à la différence entre [i] qui est antérieur, et [u] (prononcer comme un ‹ ou › en français) qui est postérieur.

Lorsqu’on a deux symboles côte-à-côte, ça veut dire que celui de gauche a les lèvres non-arrondies, et celui de droite a des lèvres arrondies. Ça peut être vu comme une troisième dimension au tableau, même si c’est rarement représenté comme ça pour des raisons pratiques. Pensez à la différence entre [i] qui est non-arrondi, et [y] (prononcer comme ‹ u › en français) qui est arrondi.

Pour chaque voyelle, on a donc 3 critères : l’ouverture, le point d’articulation, et l’arrondissement des lèvres.

Par exemple, la voyelle [ʌ] (qui correspond à ma prononciation personnelle du ‹ o › ouvert en français) a les caractéristiques suivantes :

Les consonnes

Tableau des consonnes

Les consonnes peuvent avoir plusieurs modes d’articulation (liste non-exhaustive) :

Il est possible de « combiner » deux points d’articulation pour en faire un autre. Typiquement, les consonnes affriquées comme [t͡s] peuvent être considérées comme des combinaisons occlusive-fricative. Les occlusives prénasalisées comme [n͡d] seraient des combinaisons nasale-occlusive.

Une consonne a également un point d’articulation spécifique, qui désigne l’endroit où la contrainte va s’effectuer. Dans le tableau des consonnes, plus on va à droite, plus la consonne est articulée au fond de la bouche. Ainsi, tout à gauche, on a [p] et [b] qui s’articulent avec les deux lèvres (bilabial), et ça va jusqu’au [h] (H aspiré) qui se prononce au fond de la gorge (glottal), en passant par le [f] qui s'articule avec la lèvre sur les dents (labio-dental), le [t] qui s’articule sur ou à côté des dents (dental ou alvéolaire), le [ʒ] (J en français) qui s’articule sur le palais (palatalo-alvéolaire), et le [k] qui s’articule sur le voile du palais plutôt vers le fond de la bouche (vélaire), entre autres.

Enfin, une troisième caractéristique va être le voisement. Les consonnes peuvent être sourdes ou sonores. Pensez à la différence entre [p], [k], [f] et [s] d'un côté (sourdes), et [b], [g], [v] et [z] de l'autre (sonores). Certains types de consonnes vont être très rarement assourdies, c'est notamment le cas des consonnes nasales et spirantes. Il est possible de connaitre très simplement le voisement d'une consonne, en plaçant sa main sur les cordes vocales : si elles vibrent, la consonne est sonore, sinon elle est sourde.

Par exemple, la consonne [ɬ] présente les caractéristiques suivantes :

Certaines combinaisons de modes et de points d'articulation peuvent ne pas être réalisables, par exemple il est impossible de prononcer une nasale glottale, une roulée vélaire ou une labiale latérale, en raison de la configuration anatomique de l'appareil phonatoire humain.

Les symboles supplémentaires

De nombreux symboles peuvent être utilisés pour compléter les symboles existants, ou montrer d'autres informations. On peut utiliser des petites lettres comme le ‹ ʰ › pour l'aspiration ou le ‹ ʲ › pour la palatalisation, des diacritiques comme le pontet souscrit ‹ ◌̪ › pour noter une articulation dentale ou la tilde ‹ ◌̃ › pour la nasalisation.

La chrone ‹ ː › est souvent utilisée pour noter une voyelle longue. Elle peut aussi servir à noter un allongement de consonne.

Le point sert à séparer les différentes syllabes. Il est optionnel, et avant tout utilisé en phonologie.

L'accent tonique est noté avec la courte barre verticale en exposant ‹ ˈ ›. Lorsqu'elle est en indice ‹ ˌ ›, elle note l'accent tonique secondaire. Ils sont le plus souvent placés au début de la syllabe, mais peuvent parfois être trouvés juste avant la voyelle accentuée à la place.

Attention : il ne faut pas confondre l'accent tonique avec l'éjective ‹ ʼ ›, notée à l'aide d'une apostrophe. Les consonnes éjectives sont prononcées plus ou moins comme si il y avait un coup de glotte juste après.

Dans les langues tonales, certains symboles sont utilisés pour indiquer le ton d'une syllabe : ˥ ˦ ˧ ˨ ˩. Ils peuvent indiquer 5 hauteurs de tons. C'est possible d'y combiner entre eux pour noter des tons montants ou descendants.

Les semi-voyelles et semi-consonnes

En phonétique, la différence entre une voyelle et une consonne réside dans le fait qu'une consonne est produite avec une contrainte sur le flux d'air, alors qu'il n'y a pas de contrainte pour les voyelles. Mais en réalité, il existe des sons à la limite de ces deux conditions. On parle de semi-voyelles ou de semi-consonnes, et la limite entre l'un et l'autre est très floue, pas mal de langues ne font d'ailleurs même pas la distinction entre les deux dans leur système phonologique.

Du côté des voyelles, ça va concerner les voyelles fermées, car le fait que la bouche soit peu ouverte prédispose à générer une légère contrainte sur le flux d'air. Du côté des consonnes, ça va concerner les spirantes, pour lesquelles la contrainte sur le flux d'air est beaucoup moins forte que pour la plupart des autres consonnes.

Il est très facile de trouver des équivalents entre certaines voyelles fermées et certaines consonnes spirantes. Ainsi, [i] correspond à [j], [u] correspond à [w], et [y] correspond à [ɥ].

Les pièges pour les francophones

Toutes les langues ne s’écrivent pas pareil, mais toutes utilisent le même alphabet phonétique. Chaque langue a donc ses propres pièges concernant la notation en API. Pour le français, il s’agit de :

De plus, un certain nombre de symboles sont des lettres existantes mais légèrement modifiés (petites majuscules, crochet, ceinture, symbole renversé...), c’est très souvent des légères modifications par rapport au son correspondant à la lettre de base. C’est un point sur lequel il faut faire gaffe, on a vite fait de confondre un ‹ n › et un ‹ ɴ › si on y fait pas trop gaffe.

Critiques de l’ethnocentrisme de l’alphabet phonétique international

Bien que l'API soit théoriquement adapté pour noter toutes les langues du monde, il y a des critiques à faire sur son ethnocentrisme, car il a été calibré avant tout pour certaines langues européennes dominantes. Ça me parait important d'en parler pour vous permettre de prendre du recul sur ce système de transcription phonétique.

Pour beaucoup de consonnes, il existe une paire de symboles spécifiques pour distinguer les sourdes et les voisées, mais il n'y a aucun symbole spécifique pour distinguer les aspirées et les non-aspirées (qui est une opposition courante dans pas mal de langues dans le monde, mais pas en Europe). L'aspiration se note avec le petit symbole ‹ ʰ ›.

Il y a un symbole spécifique pour le son [ʍ], pour la simple raison que ça existe dans certains accents de l'anglais. C'est la seule consonne spirante sourde qui a un symbole spécifique. Sachant que les spirantes sourdes sont plutôt rares dans les langues naturelles.

De manière générale, l'API se concentre beaucoup sur l'articulation des sons, et beaucoup moins sur la prosodie. Or, dans certaines langues comme en pirahã, la prosodie et le rythme est plus importante que l'articulation des sons.

Pour aller plus loin

Je vous conseille chaudement d'aller faire un tour sur Wikipédia, sur les pages consacrées à l'alphabet phonétique international et à ses différents sons. C'est en général assez complet, et pour la grande majorité des sons avec un symbole spécifique, vous avez un audio incorporé à leur page qui vous donne un exemple de comment que ça se prononce.